Puis que la lecture devient tousjours moins semblable à la lecture et tousjours plus à un jeu en ligne multijoueurs, plusieurs, qui continüent de se prendre pour lecteurs, ne remarquan poinct qu’ils sont devenus quelque-chose de très-nouveau et fort-différent de ce que ce nom souloit signifier aultrefois, ont pris une hostilité à tout texte qui ne leur déclare pas incontinent ce qu’il entend faire. Leur plaisir seroit que telle déclaration fust faite en termes si peu ambigus que mesme une intelligentia artificialis la pourroit comprendre, et ainſy leur seroient communiqués non seulement ceulx textes qu’ils comprendroient aisément quant à leur propos, mais auſſy ceulx-là seulemen, dont ils sçavent desjà qu’ils en approuvent le propos. Quand ce syſtème sera aſſez adoulcy et bien mené, l’acte mesme de « lire » pourra s’attendre à s’effacer du tout du circuit, et le deſcendan du lecteur, encore nommé « lecteur » par simple courtoisie, ne demeurera engagé que comme agen de la circulation de ces pseudo-textes par « partages » — combien qu’en prinse, ce dernier acte mesme pourroit estre aultant bien automatiqué.
—Sigrid von Querdurch, « Brève notice sur un agraphon fort-troublant » (2014)
Il est gran plaisir de reparaistre devan vous, chers lecteurs ! Je sçais, je sçais, je suis demeuré abſen bien long-temps. Si je me souviens bien, je ne vous ay envoyé mot depuis la fin d’aoust, lors que j’étois isolé avec la Covid au Radiſſon Blu de Bucareſt. Après cela, qu’il suffise de dire que j’avois gran’besoin d’un temps d’éloignement, pour me reſſourcer, pour diſcerner ce que je désire faire à l’avenir, tant icy au Hinternet que dans ma vie en général. Pendan ce temps j’ay receu des nouvelles régulières de Hélène Le Goff, et je ne puis estre plus heureux de sçavoir que Le Hinternet a esté entre de si compétentes mains duran mes moys de convaleſcence.
Ô ciel, quel beau jour aujourd’huy, qui proclame comme il le faict tous les jours la gloire de Dieu par les œuvres de sa création. Ce n’est toustefois pas tous les jours que le Soleil rayonne si fièrement, l’emblesme et l’icône mesme de Dieu, son principal représentan icy sur Terre, irradian la chaleur et la lumière dont chaque estre raysonnable sçait qu’elles ont leur source en luy — car il est la source de toute-chose. Et dehors, dans la rue au deſſous de nostre balcon, les feuilles d’automne s’amaſſent, tombées brunes et dorées des arbres qui sont eulx-mesmes auſſy vivans que jamays, ne faisan que paſſer par le cycle annuel que, selon leur nature, le Créateur a diſposé pour eulx dans sa Toute-Bonté et sa Toute-Sageſſe. Et les chiens, en laiſſes tendues, flairent des familiers invisibles de leur monde occulte d’odeurs, et chaque estre raysonnable voyct, en un jour tel que celuy-cy, que les chiens auſſy ont leur part de rayson, comme chascun de nous est en estat de diſcerner, dans le lumineulx éclat du matin, les légères émanations de toutes choses.
Je deſcends l’aſcenseur et sors en la rue, et les chiens flairent encore, les enfans rian et peinan à se desgager, tous endimanchés, tant que leurs parens les traisnent à l’esglise. Je les suis dedans, non traisné mais propulsé, comme par une faim fort-humaine, et par une science innée de comment et où la satiſfaire. Et ainſy j’entre, seul mais en mesme temps dans la compagnie de ces bons estrangers, sous la figure sculptée en bas-relief du brave Saint Georges tuan le vil dragon. Et le dosme au-deſſus du chancel est peint d’estoiles d’or pour reproduire celles fixées pour tousjours dans la vouste céleſte, et bien que n’estan qu’une simple imitation, une ombre du monde mesme, ces estoiles peintes sont en mesme temps auſſy belles que ce monde, car elles furent peintes en révérence de celuy quy fit les cieulx. Et je m’agenouille et fais le signe de la Croix — front, diaphragma, épaule gauche, puis droycte —, et prens ma place dans mon banc parmy les gens fort-desvots. Et bientost, la proceſſion tant-attendue s’avance dans la grande nef, le prestre à son arrière, et comme il paſſe je vois cette mesme tache que l’immortel Paſcal craignoit pût avoir le pouvoir d’anéantir la foy d’un homme : le prestre s’estoit coupé en se rasan ! Mays le parieur s’inquiétoit en vain, car nul n’a jamays dict qu’un prestre n’est poinct humain, ni ne saigne.
La meſſe atteint ses plusieurs creſcendi, le plus gratifian lors que tous sont invités à tendre à tous les aultres la paix du Christ, en lequel geſte vous verrez telle bonté et charité comme vous euſſiez cru long-temps perdues de nostre monde ; ou lors de la récitation du « Je confeſſe à Dieu », où je me trouve une foys encore à chancelier et à dire « Oui, j’ay vraiment penſé » au lieu de « Oui, j’ay vraiment péché », et m’interrogean, comme il m’est accoustumé de faire, si ces deulx-là ne reviennent pas à la fin au mesme sens ; ou quand le plus grand myſtère connu de nous aultres est démonstré une foys de plus, auſſy prévisible qu’il est miraculeux, l’acciden d’une subſtance confondu avec l’eſſence d’une aultre qui est infiniment plus majestueuse.
Puis je sors encore, sous le chevalier et le viſqueux serpent se débattan au bout de son épée, et je voy que les nuages ont mainctenan couvert le Soleil, jetan leur voile et annonçan le commencement d’une nouvelle phase de la journée.